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De la musique d'ascenseur à la symphonie ! ”     par Jean-Pierre Nouvel


De la musique d’ascenseur à la symphonie !

par Jean-Pierre Nouvel
psychologue et compositeur
www.mysymphonic.com


“ Structures rythmiques et tonalités. Mais qu’est donc la musique ? ”

1. Paradoxes et lieux communs

Auriez-vous l’idée de sonoriser le mariage de votre cousin avec la « Marche funèbre » de Chopin ou bien celle des « funérailles de la Reine Mary » de Henry Purcell ? Non, évidemment (sauf si vous détestez particulièrement votre cousin ou que vous souhaitiez montrer que cette journée solennelle vous semble également lugubre).

Choisiriez-vous un clip de Hard Rock pour sonoriser l’ascenseur  luxueux et ultra silencieux du siège européen d’une grande compagnie d’assurances ? Non évidemment (sauf si vous tenez à être mis à la porte dans les 5 minutes qui suivent ou être accompagné par deux infirmiers à l’asile psychiatrique le plus proche).

Ces deux exemples outrés montrent déjà une chose que nous connaissons tous intuitivement : toute tonalité et toute structure musicale ne saurait convenir en n’importe quelle circonstance. Mais le savoir, c’est bien ;  utiliser à bon escient ce que l’on sent et connaître un peu plus que d’instinct les incidences de nos choix de composition, c’est sans doute aussi apprendre à s’évader d’un conformisme dangereux et donc libérer son écriture musicale.

Est-ce nécessaire ? Je le crois. J’espère que personne ne se vexera, mais la vérité m’oblige à dire qu’un très grand nombre de plages de musique que l’on trouve ici ou là (dans un domaine particulier en tout cas, ce qui se considère ou s’apparente de près ou de loin à la musique classique) …sont, du point de vue compositionnel, toutes interchangeables, quasi identiques.

Ce billet ne prétend naturellement pas à l’exhaustivité ; de nombreux points importants ne peuvent être développés, pour ne pas lasser. Je souhaite seulement faire toucher du doigt que la musique dépasse nettement le cadre étroit dans lequel on la cantonne souvent : une sorte de bruit d’accompagnement d’autre chose (des images par exemple), un truc fonctionnel assez standardisé, trop contraint par des codes qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’est réellement le mode d’expression d’un compositeur, le mode de réception d’un auditeur. Bref, la musique ne doit  pas être un réflexe « singe-banane ».



2. Nature évidente de l’action de la musique

Revenons d’abord en arrière : la musique est une expression de l’esprit humain, comme la parole. Ces deux composantes du langage concernent toutes les dimensions de l’homme : leurs effets sont aussi bien psychiques que physiques ; le son qui se transmet par des ondes produit aussi une réponse corporelle. La musique transmet aux auditeurs les réactions du compositeur au moment de l’écriture de son œuvre ; elle provoque aussi une réaction de nature « biochimique » qui a elle-même des conséquences fonctionnelles : en fonction de ce que vous entendrez, votre cœur battra plus vite, vous respirerez plus vite, ou bien vos mains trembleront légèrement ; vous vous sentirez euphorique, abattu, triste, guilleret…

Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je rappellerai que l’influence des sons est une évidence historique (l’homme primitif traduisait son angoisse par une série de sons modulés qui eurent vite fait d’acquérir un caractère magique au cours de l’évolution : l’incantation).
Cette évidence est aussi expérimentale (pensez à l’influence des vibrations sonores sur les plantes ou sur les animaux ; l’un de mes amis, entraineur de chevaux, s’est rendu compte que ses animaux étaient plus calmes et obtenaient de meilleurs résultats lorsque du Mozart leur étaient diffusé dans leurs écuries ;  la diffusion des battements du cœur calme rapidement un nouveau né  etc…). Elle est enfin psychologique (la musique a le pouvoir de provoquer un état de tension ou de relaxation : ses effets sont ainsi parfaitement analysés et utilisés en musicothérapie).



3. Musiques selon leurs époques de conception, la personnalité des auditeurs, des compositeurs, et même de l’endroit où ils ont  composé

Incontestablement, la musique a toujours évolué en même temps que le psychisme des compositeurs. Citons rapidement l’époque de la musique grégorienne (époque mystique), l’époque classique (la musique se doit d’être très « carrée » et d’obéir à des règles de toutes sortes, y compris mathématiques), une époque romantique (Chopin et sa suite), et une époque non conventionnelle, plus désordonnée, plus dissonante.

Nous savons maintenant aussi  que le type psychologique du compositeur influence ce qu’il écrit. Schumann n’aurait pas été le compositeur qu’il fut s’il n’avait aussi été un malade mental aux idées suicidaires.

On se rend aussi compte que les œuvres symphoniques classiques et contemporaines d’envergure sont plus souvent écrites dans des pays froids ou tempérés que dans des pays chauds. Curieux, mais c’est ainsi. Ces mêmes chefs d’œuvre sont plus souvent composés par des personnes qui connaissent quelques problèmes sociaux, familiaux, d’argent que par des personnes bien dans leur peau, riches et heureuses en ménage. Une « loi de compensation » ?

Il est enfin tout aussi clair maintenant que l’auditeur se sentira plus facilement en harmonie avec une musique qui fut écrite par un compositeur relevant du même type psychologique que lui.



4. Comment percevons-nous la musique

« Tout ça, c’est bien joli, mais où veut-il en venir ? », diront certains. Encore deux minutes de patience : i faut bien que je rappelle d’abord quelques notions trop oubliées car la façon dont nous composons et ce que nous composons en découle naturellement.

Nous percevons la musique au travers d’un filtre cérébral à fonctionnement automatique : une analyse rapide et une synthèse des sons qui nous parviennent. Tout naturellement, nous éprouvons la sensation que les intervalles de quarte, de quinte et d’octave ont une relation particulière entre elles. Idem pour deux sons qui se suivent dans l’intervalle le plus court (le demi-ton dans notre civilisation). Lorsqu’elles sont combinées entre elles, toutes ces règles non écrites déterminent un principe d’attraction/répulsion sur lequel jouera le compositeur et que percevra l’auditeur : si l’attente d’une résolution sonore n’est pas confirmée, il s’ensuivra un effet de surprise, ou même parfois une sensation de léger malaise.  Certaines dissonances peuvent inquiéter ou angoisser, etc..
Tout cela, vous le sentez empiriquement : pensez  aux musiques de films d’horreur ; il est encore mieux de comprendre qu’il s‘agit de vrais phénomènes physiologiques et psychologiques, et que le compositeur se doit d’en jouer à volonté. Ecrire de la musique, c’est utiliser un langage ; encore faut il s’exprimer distinctement.

La tension comme la détente chez l’auditeur dépendent également de la vitesse du débit sonore et de son intensité.  Dans un mouvement lent, la détente s’installe si le débit reste lent. Des chercheurs ont étudié l’importance du rythme dans la  perception musicale. 
Binet et Courtier ont prouvé que « la dissonance et la consonance, les intervalles majeurs ou mineurs, les changements d’intensité, les mouvements rapides ou lents changent le rythme du pouls et de la respiration ». Par effet induit, ces modifications physiologiques auront naturellement leur pendant psychologique (exaltation, sentiment de puissance, d’euphorie, de tristesse, etc…)…. lequel état suggérera à son tour une construction  mentale d’images adaptées à ce qu’entend l’auditeur.



5. De l’influence de différentes tonalités

Certains intervalles donnent une sensation de stabilité naturelle dans les rapports de sons. « L’oreille humaine (écrit Gevaërt, cité par Léon Bence, dans « la Musique dans l’Antiquité ») même sans aucune culture musicale, étant douée de la faculté de saisir spontanément les consonances d’octave, de quinte et de quarte, elles ont été choisies par tous les peuples pour retrouver sur les instruments à cordes les sons du système musical ».

La quinte représenterait une volonté d’extériorisation (énergie, action consciente) quand l’intervalle de quarte symbolise la contraction sur soi (introversion, inconscient). Lorsque la tierce sera enfin considérée comme un intervalle non dissonant, elle sera, selon certains travaux savants, associée au monde de l’affectivité. « On peut regarder les tierces comme l’unique objet de tous les accords », écrit Jean-Philippe Rameau en 1722.  Beaucoup plus tard, surtout dans la période du wagnérisme triomphant, une autre notion se développera : la notion de stabilité ou d’instabilité. « Tout accord comportant un intervalle de triton ou un accord de quinte augmentée provoque une impression d’instabilité. Tout accord privé de ces deux caractéristiques est stable », écrit Serge Gut. (Nota : Liszt, m’a appris récemment l’un de mes amis, disait que le triton était « l’intervalle du diable ».

Quelques rapides aperçus sur la façon dont certaines tonalités peuvent être ressenties :

Les tonalités sont souvent répertoriées en fonction de leur pouvoir affectif. Chez Bach, « do mineur est une tonalité charmante et triste à la fois » pendant que « sol majeur convient aux choses sérieuses et animées ».

Do dièse majeur est souvent utilisé chez les romantiques (Schumann, Chopin). Si l’on transpose ces mêmes œuvres en do majeur, elles deviennent soudain plates et insipides, a-t-il été justement noté. 

Ré mineur est une tonalité qui convient bien aux cordes et leur donne de l’éclat. Mi bémol majeur, est une tonalité lumineuse et assez charmante.

Le mi majeur est souvent utilisé comme une couleur « irradiante » et glorieuse ; ainsi Richard Strauss dans le « Chevalier à la Rose », Anton Bruckner dans certaines symphonies, Liszt….

Bien entendu, rien d’automatique ou de téléphoné ; la musique est affaire de ressenti personnel, même si de (presque) constantes finissent par se dégager : au cours du temps, de petits glissements se produisent : sol majeur est joyeux chez Bach, rêveur chez Beethoven, etc.



6. Un conformisme gênant et frustrant

Que constatons-nous aujourd’hui ?  Loin d’écrire pour traduire un sentiment, une révolte, une interrogation  en jouant sur toute la palette sonore, tonale et rythmique dont ils peuvent disposer, nombre de jeunes apprentis compositeurs se sont mis en tête de raconter : une histoire qui n’est pas la leur, qui ne correspond ni à une envie personnelle, ni à une interrogation même existentielle. Ils ne s’expriment  qu’au travers d’images, qui mieux est  imaginaires, mais très semblables les unes aux autres ! La dictature de la « musique de film » est passée par là.  D’où ces séries de clips alternativement sirupeux ou fortement rythmés de façon standardisée.  

Que de « musiciens de films sans films ». On écrit une musique pour un film qui n’existera jamais. Comme si la musique avait commencé avec le cinéma ; comme si une composition devait se limiter aux  trois minutes de la scène d’action, ou aux 2 minutes 15  d’une exaltation héroïque empruntée au générique de fin de l’une des musiques de John Williams ou de Hans Zimmer. 

Bien entendu, je respecte cela (et nombre de ces « démos », comme on dit, sont fort agréables à entendre et sont bien enregistrées) ; mais pourquoi imposer de telles limitations volontaires à son talent, surtout s’il est récent et encore peu exprimé !   Mieux vaut, me semble t’il, essayer de faire passer quelque chose de soi – même maladroitement, ce sera authentique – que de tenter à toute force d’être perçu comme le nième sous-clone de John Williams. John Williams est un immense artiste qui écrit aussi pour son plaisir en dehors de ses musiques de films (comme le firent avant lui Hermann, Waxman, Korngold, etc….).

Dieu merci, un certain nombre de jeunes compositeurs me plaisent infiniment. Ils s’inscrivent naturellement, comme nous tous, dans  notre époque, et parviennent sans peine et avec intelligence et grand talent à exprimer plus longuement, et hors de cette dictature, des sentiments ou leur ressenti devant un beau paysage (un fleuve paresseux, par exemple) un évènement de la vie quotidienne, etc… je ne veux citer personne pour ne pas faire de jaloux ; ils se reconnaîtront.

Que l’on ne se trompe pas : je ne juge jamais le talent intrinsèque, avéré ou en devenir, de quiconque. Mon propos est autre : en ignorant délibérément ce qu’est réellement la musique, de nombreux jeunes compositeurs se coupent volontairement de joies autrement plus intenses que ne l’est l’éphémère plaisir d’imaginer leur nom écrit sur une affiche de film.

En ne réfléchissant pas à l’effet réel que peut (ou devrait)  produire la structure rythmique ou la tonalité utilisée dans tel ou tel passage, ces mêmes compositeurs agissent comme le ferait un acteur de théâtre qui se  contraindraient à ne parler que fort ou seulement à voix basse, très vite ou très lentement, avec une voix artificiellement haut perchée ou bien un effet de basse russe, et tous cela quel que soit le sentiment qu’ils aient pour mission d’exprimer : douleur, peine, amour, satisfaction. Imaginez-vous Robert de Niro figé dans l’un de ces registres ?
On en revient, à l’absurde des premières lignes de ce texte : choisiriez-vous une « marche funèbre » pour….

La musique est une activité humaine de communication de plein exercice (tonalité, intensité, hauteur, etc..); elle mérite que nous lui reconnaissions toutes ses dimensions  Considérer qu’elle doit être cantonnée à des poncifs d’expression strictement commerciale et utilitaire, c’est appauvrir le langage du compositeur ; c’est le rendre vite inapte à écrire plus de trois minutes de musique d’un seul tenant et à penser autrement qu’avec un support d’images.

Je ne connais rien de plus horrible que ces metteurs en scène qui réclament, paraît il, à leur compositeur une musique écrite « à la Wagner », ou « à la John Williams ». Ignorer tout cela,  c’est aussi décider  de retirer à l’auditeur un droit à une vraie émotion (pas celle, superficielle, qu’il ressent en  écoutant 20 violons dégoulinant de bons sentiments sirupeux)  en lui servant une musique, certes agréable, mais de fast-food  : croire qu’une tonalité en vaut bien une autre, c’est ignorer que des gens plus doués ou géniaux que nous se sont aperçus il y a longtemps que c’était faux ; c’est aussi se priver de ce qu’ils ont expérimentalement découvert.


     Jean-Pierre Nouvel, ( www.mysymphonic.com )
 
 
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